Cet article situe la question de la sécurité du personnel humanitaire dans une nouvelle perspective intellectuelle. Il cherche à montrer que l’hostilité aux acteurs humanitaires n’est pas un phénomène étranger à l’action humanitaire, qu’il faudrait traiter séparément de manière technique. Elle naît d’un rapport de domination qui se manifeste à l’échelle planétaire dans les rapports Nord-Sud et qui s’immisce dans les relations entre le personnel humanitaire et les populations locales. Il faut en comprendre les mécanismes plutôt que de situer les racines de la menace chez l’autre et privilégier le repli sur soi. Il existe une autre voie : au lieu de chercher dans les déficits de l’un ou l’autre, elle consiste à étudier le lien qui unit l’un à l’autre. En combinant les théories féministes du care et la criminologie critique de Jock Young, cette étude explore les rapports inégalitaires et paradoxaux qui se développent de façon cachée entre les acteurs humanitaires et la population locale. Elle part d’une situation sociale spécifique, à savoir la dépendance mutuelle entre les humanitaires et leur femme de ménage, pour rendre visible cette relation de domination masquée qui alimente les tensions et les frustrations. Elle met en évidence le caractère intolérable de cette situation dominante pour chacune des parties. Un processus d’altérisation se met alors en place qui s’accompagne d’une essentialisation et d’un dénigrement de l’autre. En fin de compte, les résultats de la recherche posent la question de savoir si la solution au problème de l’insécurité pour le personnel humanitaire ne résiderait pas d’abord et avant tout dans la résolution des formes d’inégalité dans la répartition et la reconnaissance dont font l’objet celles et ceux qui appartiennent aux groupes sociaux marginalisés.
This report explores the question of the safety of humanitarian personnel in a new intellectual perspective. It seeks to show that hostility to humanitarian actors is not a phenomenon unrelated to humanitarian action, which should be dealt separately in a technical manner. Rather it arises from a relationship of domination which manifests itself on a global scale in the North-South relations and which interferes in the relationships between humanitarian actors and local populations. It is then necessary to understand those mechanisms rather than situating the roots of the threat in the other and relying on urban fortification and spatial segregation. To put it another way: instead of seeing insecurity as a product of a deficit of one or another, we should rather study the relationship that link one to the other. By combining feminist theories of care and Jock Young’s critical criminology, this study explores the uneven and paradoxical relationships – often hidden and wishfully concealed –between humanitarian and local actors. The study starts from a specific social situation, namely the mutual support and care between the humanitarians and their housekeeper, as a way to make visible dimensions of power and domination which fuel tensions and frustrations. It highlights the intolerable nature of this dominant situation for each of the parties. A processus of othering then takes place which is accompanied by an essentialization and denigration of the other. Ultimately, the research results raise the question of whether the solution to the problem of insecurity for humanitarian workers would not primarily be to resolve forms of income inequality and status inequality which generate this problem.
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