Cette étude, représentant la deuxième partie d’un projet de recherche sur la violence en Haïti, s’intéresse particulièrement aux caractéristiques des rapports sociaux qui conditionnent la production de la violence sous la forme explosive par laquelle se dis- tingue notamment la violence politique. Autrement dit, que se passe-t-il entre ces scènes d’explosion collective accompagnée d’incendies, de vol, de pillage, de destruc- tion de biens, de supplice du collier? Comment la violence politique existe-t-elle déjà dans les rapports sociaux quotidiens au sein des diverses communautés?
On s’intéresse généralement à la violence politique, caractérisée notamment par la discontinuité, sa nature quasi-événementielle. Pour comprendre sa récurrence, il peut être important d’interroger la continuité de la vie sociale qui prépare la prochaine irruption, le prochain coup d’État, la prochaine contestation violente des élections, la prochaine émeute de la faim... Deux ordres de questions peuvent être envisagés. Quelle est la nature des rapports entre les élites politiques et les masses qui rendent ces der- nières toujours disponibles pour d’éventuelle participation à des manifestations vio- lentes? Comment ces rapports sont-ils entretenus dans la vie quotidienne? Un autre ordre de questions concerne les processus sociaux internes à la vie sociale des masses elles-mêmes, qui les rendent disponibles pour participer à des manifestations violentes. Le présent rapport s’intéresse à ce dernier type de questions.
Notre point de départ est le constat que le pays est soumis à une urbanisation in- tense conduisant à la formation de bidonvilles, qui sont une condensation de processus sociaux rendant ses populations susceptibles de participer à des manifestations vio- lentes. Notre hypothèse est que l’affaiblissement des liens sociaux traditionnels résul- tant des migrations rurales et la faible confiance dans les rapports sociaux qui accom- pagnent ce processus de destruction des liens sociaux, sont deux caractéristiques prin- cipales des communautés des bidonvilles. Ces communautés des bidonvilles sont donc privées des mécanismes de résolution des conflits qui tendent à se produire dans des conditions de précarité. Ceci donne lieu à un apprentissage de la violence comme moyen de survie.
Les résultats montrent que la faiblesse des liens sociaux et l’absence de con- fiance dans les rapports sociaux et dans les institutions sont des traits que partagent toutes les communautés, que celles-ci soient considérées comme des centres de rési- dence urbaine ou des villages ruraux. Les quartiers périphériques ou les bidonvilles ne se distinguent que peu. Cependant, des différences plutôt faibles quant aux liens so- ciaux peuvent avoir des conséquences relativement importantes quant à la probabilité que les troubles sociaux se transforment en violence.
La confiance dans les rapports sociaux, dans les personnes qui forment son environnement social, peut être plus importante que la confiance dans les institutions par rapport aux risques que les conflits interpersonnels se transforment en violence. Les bidonvilles, où, d’après les répondants, la confiance placée dans les institutions est plus forte que celle placée dans les gens de son environnement social, font face à un plus grand risque de violence que les quartiers où la confiance dans l’environnement social est plus forte que celle placée dans les institutions.
Enfin, les activités de commerce d’importation de produits usagés ou à bas prix entraînent d’importants mouvements de population qui constituent un terrain propice au développement de conflits dans un contexte social marqué par des liens sociaux faibles mais aussi par une faible confiance mutuelle parmi les gens. Le risque que les conflits évoluent vers des formes de comportement violent en est aussi élevé.
En termes de recommandations, il conviendrait de penser à des initiatives pou- vant renforcer le tissu social et élever le niveau de confiance que les gens placent dans leur environnement social. Nous avons vu que l’enseignement privé et le commerce en majeure partie de biens importés sont les activités les plus mentionnés par les moins de 30.0% qui, dans notre étude, disent avoir un emploi. Il s’agit d’activités de services supposant que le pays dépend de transferts de revenus. Des activités de production re- quièrent plus de coopération dans la planification et la gestion. Il conviendrait donc d’encourager de telles activités à travers des initiatives nécessitant des mises en com- mun de fonds.
Le leadership politique devrait se renouveler dans ses rapports aux masses des bidonvilles en particulier. Ceci requiert un encadrement des groupes politiques. De telles initiatives ont existé dans le passé, or nous ne savons pas si cette dimension a été prise en compte. Pour plus d’objectivité et de légitimité, de telles initiatives devraient être fondées sur des résultats de recherche. De plus, il serait primordial que ces résultats émanant de la recherche soient produits sous des formes accessibles aux groupes et aux individus impliqués dans la politique haïtienne.
La MINUSTAH constitue, elle, un dilemme. La Police nationale, selon diffé- rentes estimations, ne peut encore faire face aux multiples problèmes de sécurité interne et externe. Dans ce contexte, la MINUSTAH semble donc s’imposer. Elle n’a cepen- dant pas la confiance de la population pour de multiples raisons, comme cette étude le montre.